Néanmoins, je ne suis pas là
aujourd'hui pour vous faire un exposé sur les jeux par navigateur ; non, si
j'écris ce billet, c'est avant tout pour vous raconter une histoire, une
aventure que je partage avec quelques autres depuis maintenant cinq longues
années. Le genre d'histoire que bon nombre d'entre vous ont pu vivre, forgée
dans la joie et la douleur : la création d'un jeu par navigateur. Pour des
raisons éthiques et parce que je ne suis pas là pour faire de la publicité
malpropre, je ne citerai pas le jeu en question (inutile d'essayer la corruption...
Quoique). Disons simplement que je souhaite communiquer sur ma propre
expérience et, si ça peut en aider certains, à éviter quelques écueils. Allez,
zou, c'est parti !
I. A l'aube de la création...
... Shoka ! Après cette blague douteuse sur Populous, commençons
par le commencement. Les faits remontent à cinq ans maintenant, voir six pour
être plus précis : je n'ai pas connu le tout début puisque j'ai rejoins
l'aventure un peu plus tard. A l'époque, un certain Ogame faisait un tabac, et pour cause : les jeux par
navigateur commençaient à prendre timidement leur envol, Facebook n'était pas
encore ce qu'il était. Bref, les jeux persistants par navigateur, c'était
tout neuf ! Pour les connaisseurs, inutile d'ajouter que Ogame proposait (et propose encore
j'imagine) des mécaniques de jeu bien huilées dans un univers SF certes bidon,
mais où tout un chacun pouvait vivre ses propres aventures (le fameux « rôle-play »).
A vrai dire, Ogame a tellement bien marché que
beaucoup de gens ont essayé de reprendre la formule pour en proposer des
dérivés. Parfois, ça fonctionne. Souvent, c'est un échec. Si je vous raconte
tout ça, c'est tout simplement parce que mes camarades et moi, ou plutôt le
fondateur du projet (appelons-le Bobby) a lui aussi tenté de surfer sur la
vague du succès. A l'époque, Bobby venait de se mettre à Ogame, et ça avait été une sorte de révélation pour lui. Comme
beaucoup d'autres, il avait eu l'intuition que cette catégorie de jeux allait
prendre de plus en plus de place dans les années à venir. Comme la plupart des
hommes, Bobby avait aussi de l'ambition. Alors, un beau matin, il décide de se
lancer dans un projet totalement dingue et utopique : marier sa passion
pour un jeu vidéo (je ne dirai pas lequel, ce serait trop facile après, hé hé)
à un jeu par navigateur.
L'idée de créer de toutes
pièces un tel jeu n'est pas apparue tout de suite. Non, Bobby reste modeste et
commence par se bricoler un skin pour
habiller l'interface d'Ogame. Il faut
croire qu'il n'était pas totalement satisfait ; poussé par l'ambition, il
parle finalement d'un projet de création de jeu par navigateur à un type qu'il
connaît dans son alliance Ogame(appelons-le Jacob). Jacob semble le type tout désigné pour devenir l'associé
idéal : il aime le même jeu que Bobby et surtout, il touche un peu à la
programmation. A ce point précis de notre histoire, on peut dire que le
projet Pantoufle était né.
II. Dédales et détours
Avant de continuer, je dois
mettre en évidence une chose très importante : tout projet connaît des
difficultés. Et lorsqu'il s'agit d'un projet amateur, là, ça tourne à la
dinguerie pure : on accumule les problèmes qui, à moins d'avoir une
volonté de fer, finiront tôt ou tard par avoir votre peau. Je parle ici d'un
projet très amateur, avec des gens
sans aucune expérience. Parce que, mine de rien, avec un minimum d'organisation
et de sérieux, on peut tout surmonter.
Bref, revenons à nos Pikmins.
Jacob, le programmeur, présente à Bobby un certain Rodolphe, lui aussi
programmeur. Sauf que Rodolphe, il est déjà occupé sur un autre projet :
lui aussi surfe sur la vague Ogame et
a décidé de concocter un jeu miracle censé pulvériser en tout point le maître. Ne me demandez pas pourquoi,
mais Bobby accepte finalement de bosser pour Rodolphe, occupant le poste de
« pubber » dans son équipe.
Nous sommes effectivement très loin du projet Pantoufle qui, l'on peut dire, est pour l'instant entre
parenthèses. Tel un missionnaire foulant de lointaines et sauvages contrées,
Bobby, armé du saint bâton de la publicité, parcourait les forums du monde
entier pour parler du fabuleux projet de Rodolphe. Et comme il gardait en tête
quelques idées, il proposait de temps à autres ses suggestions sur le forum du
jeu de Rodolphe.
Le moins que l'on puisse dire,
c'est que Bobby est plutôt têtu. Ainsi, lors d'une conversation msn avec ce bon
vieux Rodolphe, le fondateur du projet Pantouflen'ayant pas oublié son idée première lui propose de participer à la création de
son œuvre à lui. Evidemment, Rodolphe avait d'autres préoccupations en tête, et
la proposition fut reçue avec un enthousiasme glacé. Coriace, Bobby réattaque
le sujet un peu plus tard, avec sous la main divers ébauches et croquis de ce à
quoi pourrait ressembler son jeu (Bobby s'y connaît un peu en Photoshop). Là encore, le résultat n'a
sans doute pas convaincu Rodolphe, acquiesçant et affirmant qu'il verrait plus
tard.
Nous pouvons néanmoins
conclure que Rodolphe a finalement été exaspéré par l'enthousiasme débordant de
Bobby : celui-ci devait normalement être sélectionné pour la phase de
bêta-test du jeu de Rodolphe, ce qui ne fut pas le cas. Deuxièmement, Bobby fut
purement et simplement éjecté de l'équipe.
III. Les premières pierres
Après ces quelques déboires, Bobby
est forcément triste et amer. La tâche semble colossale (et elle l'est encore
davantage) mais, toujours animé par une volonté de fer, s'en retourne voir
Jacob qui semble encore motivé par le projet Pantoufle. Celui-ci avait un petit peu avancé malgré tout avec,
notamment, la mise en place prochaine d'un forum et d'un site. Je vais en
profiter pour vous glisser un conseil personnel : veillez à avoir un peu
de contenu avant de vous lancer dans la création de votre site internet. Une
simple présentation, c'est très bien, mais c'est très peu. Et lorsqu'elle est
bourrée de fautes d'orthographes, alors là...
Se sentant floué et trahi,
Bobby reprend les sujets du jeu de Rodolphe qu'il avait postés dans différents
forums pour communiquer sur le projet Pantoufle. Là encore, si je puis vous
donner un conseil, ne postez pas n'importe où vos demandes d'aides :
celles-ci sont déjà à faire en dernier recours (de nos jours, s'embarquer dans
ce genre de projet sans quelques connaissances préalables - j'entends
savoir-faire et camarades - s'avère suicidaire) ; il vous faut cibler
précisément votre public. Aucun intérêt à poster dans un forum de jeux vidéos
pour adolescents écervelés (je blague, hein).
Sans aide excepté celle de
Jacob, manquant cruellement de moyens, Bobby sent le découragement le gagner.
Ce sont au final ses ébauches et autres concept
art qui lui donnent l'envie et la force de poursuivre le travail. Davantage
vague idée qu'un projet bien concret, Pantouflen'en est véritablement qu'à ses prémices. Au fil du temps, cherchant un
hébergeur et un nom de domaine, Jacob propose quelques solutions peu coûteuses
à Bobby, mais ce dernier n'est pas satisfait et préfère continuer à chercher
d'autres options. Là encore, si je puis vous filer un conseil, ce n'est pas
honteux de commencer avec un forum créé gratuitement sur internet. Vous pourrez
commencer à claquer de l'argent quand votre projet deviendra sérieux. Dans le
pire des cas, vous aurez dépensé de l'argent pour rien.
Bobby, reprenant un vieux
sujet de forum sur un site assez connu, et ce dans l'objectif d'embaucher
quelques bénévoles, le site en question (qu'on va appeler Bidouille.fr) s'intéresse soudainement à Pantoufle (il faut dire que l'univers du jeu est largement traité
par Bidouille.fr). Au fil des
échanges, l'un des administrateurs de Bidouille.frpropose généreusement d'héberger le projet, signant par ailleurs le début d'une
longue collaboration entre les deux parties.
Faste époque pour le projet Pantoufle : les curieux affluents,
quelques-uns sont embauchés dans l'équipe, l'ardeur au travail est immense.
Galvanisé par une réussite aussi soudaine qu'inattendue, Bobby se dévoue corps
et âme à son bébé et propose deux thèmes graphiques allant habiller le jeu.
Puis le site Pantoufle.com ouvre ses
portes, principalement codé par Bobby (de manière très maladroite, les hackers
s'en donneront à cœur joie), le forum officiel suivant de peu l'ouverture du
site.
IV. Marée noire pour Pantoufle
Je vous disais précédemment
que dans un projet (super) amateur, on accumule un certain nombre de tracas. Tous
ceux qui se sont lancés dans une aventure semblable le confirmeront. Eh bien, Pantoufle n'y a pas fait exception, à
tel point que « Poisse »
est devenu un synonyme très représentatif du jeu. En-dehors des problèmes
flagrants d'organisation et d'administration, citons la disparition de programmeurs
dans la nature, une tentative d'appropriation du projet par ces mêmes anciens
programmeurs (revenus d'entre les morts), désertion au sein de l'équipe, forum
mis à mort par l'inactivité, deux hacks, problème de serveur, etc, etc... C'est
assez banal somme toute. Hélas, la majorité de ce genre de projets sont tués
par cette série de problèmes. Je ne cesserai jamais de le répéter, mais il vous
faudra relativiser, rester tenace et surtout ne rien lâcher. C'est un peu comme
l'évolution naturelle des espèces : soit vous vous battez comme un dingue,
soit vous êtes mort.
Le début symbolique du
bourbier de Pantoufle est marqué par
l'interview de l'équipe du jeu par Bidouille.fr.
Le site voulait en effet assurer une certaine promotion à ses protégés ;
quoi de mieux que de les propulser en première page ? Malheureusement,
l'interview a vite suscitée quelques propos houleux entre certains
administrateurs de Bidouille.fr (qui
prenaient en charge les dépenses de Pantoufle)
et Jacob, celui-ci ayant oublié de remercier ses mécènes. Jacob n'étant pas
caractérisé par sa subtilité, il s'est perdu en insultes avec ses protecteurs.
Le drame a été évité de justesse par Bobby, déployant des trésors de diplomatie
pour réunifier tout le monde. Je ne le redirai jamais assez, mais la
communication, c'est méta-primordial.
Ça y est, Pantoufle est maintenant marqué du sceau de la poisse. Un peu comme
une malédiction. Début août 2005, Jacob publie sans crier gare une annonce,
indiquant qu'il quittait Pantoufle et
que rien ne saurait le faire fléchir, prétextant le prix exorbitant demandé par
le serveur. Inutile de préciser que la situation était particulièrement
dramatique, Jacob étant le seul programmeur du projet... Une fois de plus, Bobby
s'est décarcassé pour trouver une solution et Jacob a reprit son travail. A
noter qu'entre temps, le site s'est honteusement fait hacker.
V. Chuis dans la place !
Quelques temps après ces
joyeux événements, je débarque avec mes gros sabots sur Pantoufle.com., vers juillet 2006. J'étais jeune, j'étais beau, je
sentais bon le sable chaud ; cela dit, j'étais surtout naïf et sans
expérience. En ce temps-là, j'avais découvert Ogame il y a peu et l'un de mes
amis m'avait parlé d'un certain « Pantoufle »,
un jeu en ligne inspiré du « maître » et basé sur l'univers de notre
jeu favori. Forcément, je suis intrigué, donc je vais voir : je commence
ma carrière en tant que simple membre du forum.
Je m'intègre timidement, en
posant quelques suggestions par ci, postant quelques histoires rôle-play
par-là. Je rejoins l'alliance de Jacob (oui je sais, c'est loufoque : le
jeu n'est pas en ligne et des joueurs forment déjà des alliances. Que
voulez-vous, c'est la jeunesse), non pas car Jacob est programmeur (je ne
savais d'ailleurs pas qu'il était dans l'équipe du jeu), mais parce que le
groupe me plaisait. De fil en aiguille, je me lie avec Jacob et l'un des
administrateurs du forum ; c'est également à cette époque que je rencontre
Norbert, un québécois loufoque avec qui je me lie très vite d'amitié. C'est ça
la magie de ce genre de projets : on rencontre des gens, on rit ensemble,
on chiale comme des madeleines. On est tous égaux devant les difficultés
rencontrées.
Finalement, mes amitiés
intéressées ont enfin portées ses fruits (je déconne) : l'administrateur
du forum que je connais, Hubert, me recrute comme modérateur. N'ayant jamais
modéré quoi que ce soit, et n'y connaissant donc rien en modération de forum,
j'ai dû apprendre sur le tas ma tâche, ce qui n'était pas toujours facile (le
forum était alors actif, certains ne pouvaient pas se blairer, d'autres
n'étaient pas très agréables). Ça m'a au moins appris la patience et la
diplomatie. J'en ai au passage profité pour faire rentrer dans l'équipe de
modération mon copain Norbert. Ce genre de choses arrive inéluctablement dans
ce genre de projets : on fait rentrer ses potes, c'est l'amitié qui prime
avant tout. C'est une grave erreur les enfants. Non pas que Norbert soit
incompétent (nous nous complétons super bien lors de nos séances de
brainstorming), mais il faut parfois avouer que nos amis n'ont absolument
aucune compétence en la matière et sont donc inutiles. Si vous recrutez
quelqu'un, faites-le par rapport à ses talents. Ça paraît évident comme ça, je
sais. Mais pas toujours en fait.
VI. La défection de Jacob
L'équipe de Pantoufle était à cette époque mal
organisée (allez, disons que l'organisation était inexistante) et surtout
divisée : nous autres les modérateurs connaissions mal les administrateurs
et développeurs du jeu. Nos compétences ne sont certes pas les mêmes, mais la
cohésion est vitale pour ce type de projet. Si vous avez la chance de faire
parti de l'équipe de développement, ça ne vous tuera pas d'aller voir de temps
en temps les modérateurs du forum, de leur demander comment ça se passe ou tout
simplement de prendre leurs nouvelles ; un « bonjour » n'a
jamais tué personne, et c'est toujours plus sympatoche comme ça.
La conséquence directe de ce
manque d'organisation, c'est l'évaporation dans la nature de Jacob. Celui-ci,
qui avait toujours été présent, a progressivement disparu sans laisser de traces,
faisant une soudaine apparition pour ensuite demeurer muet des semaines
entières. Durant ces brèves irruptions, il avait le don de nous rassurer :
« tout va bien », « le jeu avance à grands pas », sans donner
une seule preuve de ses affirmations. Naïfs, nous l'étions certainement. Nous
voulions y croire.
Eh bien, vers la fin de
l'année 2006, Jacob a totalement disparu. Pour ajouter aux festivités, un
deuxième hack a eu lieu au mois de novembre, nous laissant hors-ligne deux
semaines durant. Autant dire que ce n'était pas franchement la joie. Puis, par
le hasard le plus étonnant, le plus mirifique, le plus formidable, le plus
incroyable, le plus retournant, Jacob revient à la vie peu avant Noël,
promettant monts et merveilles, assurant qu'il garde un œil discret sur Pantoufle puis disparait aussi vite
qu'il était venu, au grand désespoir de l'équipe.
Le début d'année 2007 est
moribond pour Pantoufle : le
forum connaît une importante baisse d'activité (on ne peut pas en vouloir aux
joueurs), même l'équipe du jeu manque à l'appel. Une poignée d'irréductibles
s'occupent encore et toujours du jeu, mais l'âme en peine, gagnés par un
désespoir profond. Vous devez vous douter qu'à ce point précis de notre
histoire, Pantoufle était à deux
doigts de devenir un projet avorté. C'est finalement le retour de Jacob qui,
paradoxalement, a sauvé le jeu des affres du néant.
Celui-ci était reparut à la
tête d'un groupe de programmeurs, appelons-le Devastator, une sorte de Gameforge
amateur. Très sûr de lui, Jacob se lance dans une diatribe enflammée, annonçant
qu'il reprenait le projet et qu'il allait le remettre en ordre, celui-ci
manquant clairement de professionnalisme (disons qu'il n'avait pas tord, mais
il y a des façons de le faire). Tirée de son hibernation, l'équipe du jeu se
réveille et un véritable schisme se crée, les uns soutenant Jacob, les autres
refusant de voir le jeu odieusement volé. Les gens, curieux, affluent de
nouveau sur le forum pour assister en direct aux empoignades.
Après de longs débats houleux
et véhéments (je faisais personnellement parti des résistants. Hors de question
qu'un type débarque et s'approprie Pantoufle),
Devastator est finalement défait et Jacob s'en retourne furieux en nous
souhaitant une bonne continuation. Nous avions gardé notre indépendance, mais à
quel prix : plus personne ne pouvait désormais continuer la programmation.
D'un autre côté, cette mauvaise passe a eu l'effet d'un coup de fouet :
plus motivés que jamais, animés par la fureur de réussir, les membres
survivants de l'équipe se sont rapprochés et ont commencé à explorer des pistes
pour trouver une solution. C'est vers cette époque que j'ai commencé à être
davantage qu'un modérateur, postant régulièrement des annonces pour informer
les joueurs de l'évolution des péripéties de Pantoufle.
VII. La fureur de vaincre
Se lancer dans la création
d'un jeu par navigateur, c'est très bien. Mais si vous n'avez pas la volonté,
l'envie, si vous n'êtes pas passionné par ce que vous faites, autant
abandonner : vous n'y arriverez jamais.
L'équipe de Pantoufle n'a jamais
cessée de connaître des hauts et des bas. Ça en devenait presque
désespérant : « Merde, on y arrivera jamais ! ». Une fois
ce moment d'amertume et de colère passée, on se mettait toujours à la recherche
de solution. Je veux dire, nous n'avons jamais abandonné, même dans les pires
moments. On peut dire qu'on en a chié, du genre à pleurer des larmes de sang.
Au fil du temps, avec l'expérience, nous avons acquis un pragmatisme fabuleux
qui ne cessera jamais de m'étonner. Du genre : « Bon les gars, on a
un sérieux problème. Comme d'habitude, ça merde normalement. Mais de pas de
soucis, on va trouver une solution ». Et la solution, après quelques jours
de réflexion, on la trouve.
Je ne sais pas vous, mais moi,
les « codeurs », je n'ai jamais trouvé que ça court les rues. Pantoufle a néanmoins eu de la chance
puisque, peu de temps après la disparition de Jacob, un dénommé Jackie a prit
la relève. Le top du top pour se lancer dans la création d'un jeu par
navigateur, c'est de toucher à tous les domaines : vous ne serez jamais
dépendants de quelqu'un d'autre. Si ce n'est pas le cas, vous devrez trouver
des solutions de rechange, comme nous. Par contre, si vous n'avez absolument
aucun bagage, épargnez-vous cette peine.
La collaboration avec Jackie a
hélas tournée court. Comme Jacob, il travaillait dans l'ombre et évidemment,
nous étions suspicieux, donc on demandait des nouvelles de son travail assez
régulièrement. Nous n'en avons jamais eues. Puis, prétextant des problèmes de
Copyright (je vous disais que Pantoufleréutilisait l'univers d'un jeu connu. Nous sommes néanmoins parvenus à avoir un
accord tacite : nous pouvions réaliser Pantoufle,
mais impossible de nous faire un sou dessus, ce qui est bien normal après
tout), Jackie est parti en emportant avec lui sa version du jeu. Du moins, si
celle-ci aie jamais existée.
Retour à la case départ. On
commençait à être rôdé aux problèmes ; on a prit sur nous, et on s'est mit
en quête d'un nouveau programmeur. Qui est arrivé assez vite.
VIII. Ne pas faire ami-ami avec la communauté
Un petit aparté pour vous
parler de notre communauté de joueurs. Premièrement, je dois vous avouer que
nous avons sans doute perdu beaucoup de crédibilité auprès d'eux : emballés
par notre enthousiasme débordant, nous avons plusieurs fois annoncé la sortie
du jeu, toujours reportée suite aux événements décrits ci-dessus. Si la
majorité des gens ont bien conscience qu'on a essuyé pas mal de revers,
d'autres sont beaucoup moins compréhensifs, à tel point que nous avons eu des
questions comme « Est-ce que le jeu existe vraiment ? »
« Jouez-vous entre vous ? » « Pensez-vous le sortir vraiment un jour ? ». J'ai
toujours veillé à leur répondre avec la plus grande patience, mais je dois
avouer que leur gueuler dessus comme du poisson pourri m'a plus d'une fois
traversé l'esprit. Ce continuel report du jeu est devenu une sorte de leitmotiv
dans la communauté et aujourd'hui, on prend ça avec philosophie. A
l'époque, je disais que nous avions largement le temps, pour preuve :
cela faisait dix ans que Duke Nukem Forever était attendu. Ma blague ne marche
plus maintenant. Quoi qu'il en soit, quand je regarde d'autres projets amateurs
similaires (dont l'un a mis réellement dix ans à se construire), je me dis que
c'est normal.
Votre communauté de joueurs
est primordiale. On peut mettre du temps à le comprendre, mais plus tôt on
saisit cette donnée, mieux ça vaudra pour vous. Sans vos joueurs, votre jeu
n'est absolument rien. Courtoisie et respect sont donc de mises. Chez Pantoufle, nous avons toujours mis un
point d'honneur à venir discuter et déconner avec nos joueurs, à rester proche
d'eux. C'est très bien, car l'ambiance est excellente, mais faites extrêmement attention à ne pas trop
faire ami-ami. Nous avons vécu l'expérience, et je peux vous dire que ce n'est
pas cool.
Ainsi, il est arrivé que
certains membres de l'équipe (dont moi, oui je plaide coupable bien volontiers)
usent et abusent de leurs pouvoirs pour régler certaines inimitiés avec
certains joueurs. A terme, cela a dégénéré en guerre ouverte avec beaucoup de
joueurs au sein d'une même alliance. Nous n'avons pas été réglos, certains
joueurs non plus. Ce genre de choses ne devrait jamais arriver ; c'est
absurde et puéril. Nous n'avons pas su dire stop. Certains membres de l'équipe
ont succombé au côté obscur de la Force, et il a fallu pas mal de temps pour
régler tout ça. Aujourd'hui heureusement, c'est terminé. C'est très difficile
de rester impartial mais, en cas de conflit, mieux vaut utiliser la carte du
retrait. Veillez toujours à garder une petite distance avec vos joueurs, ça
peut vite dégénérer.
IX. Le rush de la sortie
Vers septembre 2007, nous
avons accueilli dans nos rangs notre troisième programmeur, Georges. C'est un
membre de l'équipe qui nous l'a présenté. Le pauvre Georges avait une immense
responsabilité sur les épaules : les joueurs s'impatientaient franchement,
et quant à nous, nous espérions bien mener le projet à terme sans nous faire
rouler encore une fois. Georges avait également une charge de travail
titanesque, puisqu'il devait reprendre de zéro la programmation du jeu. Parfois
aidé par un programmeur annexe de l'équipe, mais souvent seul. Nous avons donc
fixé une nouvelle date de sortie pour l'été prochain, en allumant des cierges
et sacrifiant des gnous pour que tout se passe sans encombre.
Heureusement pour nous,
Georges était doué et ça faisait un bail qu'il avait plongé dans le monde
fabuleux de la programmation. Fin décembre, une bêta du jeu avait été mise au
point et nous avions pu nous essayer à Pantouflepour notre plus grand bonheur. Parallèlement à ça, nous avions mûri. De types
sans aucune expérience, nous avions acquis un peu de pratique après avoir
souffert le martyr. A mon humble avis, tout apprendre sur le tas est la
meilleure expérience qu'on puisse avoir de la création d'un jeu vidéo. Bien
sûr, il y a des risques énormes : ça passe ou ça casse. Ça suppose
également tâtonner longuement, très longuement, pour enfin trouver sa voie.
Cela demande aussi un constant effort. A une époque, quand j'allumais mon
ordinateur, je me consacrais quasiment exclusivement à Pantoufle ; je passais à la trappe les jeux vidéos, le surf
sur internet, l'écriture (j'écris beaucoup, enfin j'essaye). D'un côté ma vie
IRL, de l'autre Pantoufle. Ça fait
des dizaines et des dizaines d'heures de boulot en tout. Ça se chiffre sûrement
en centaine d'ailleurs.
Nous étions donc davantage
organisés. Les rôles de chacun se précisaient, un forum annexe exclusivement
dédié au développement fut ouvert, on commençait à employer les micros et à
faire des réunions régulièrement. Notre principal désavantage, c'est que
personne ne se connaissait IRL : on s'était tous rencontrés sur Internet.
Faire ça avec des potes eût été plus facile. Nous avons donc été contraints de
soigner tout particulièrement notre communication. Celle-ci est à la base super
importante, mais là, c'était notre ticket de survie. Les décisions se prenaient
de concert, on se consultait tous avant d'agir ; il fallait souvent être
diplomate et savoir faire des concessions. Ne restez jamais buté sur quelque
chose. De temps en temps, je crois qu'il faut savoir dire « Bon, okay, tu
as sans doute raison. Je ne l'aurai pas fais comme ça, mais essayons, on verra
bien ».
Gagnés par la fièvre du professionnalisme,
nous avons voulu être un peu trop sérieux. A l'époque, j'écumais les sites pour
me perfectionner dans le game design,
à la recherche d'une méthode miracle. J'ai vite compris qu'il n'y en a pas.
Bien sûr, on peut faire une école, ça aide énormément. Moi, je suivais juste l'école
de la vie, un poil plus difficile, moins précise. A côté de ça, on a planché
sur la création d'une asso : avoir notre propre groupe à nous, ça
paraissait cool. Et puis, qui sait, peut-être que dans le futur, une fois Pantoufle sorti, on pourrait embrayer
sur un autre projet et concurrencer les plus grands de ce monde. On s'est donc
retrouvé avec des titres bien pros, genre « Olah, Game Designer ». Ça
faisait bien.
Quand je regarde en arrière, j'avoue
que ça peut prêter à rire. Game designer... Bah, c'est juste un titre : l'important
n'est pas là, c'est dans ce que l'on fait. Sur le coup, je ne l'avais pas pigé,
j'y tenais à mon poste. Je préfère dire maintenant que j'aime toucher à tout,
et principalement faire du game design. Mais je ne suis pas un génie et je n'en
ferai sans doute pas mon métier (attention, ça me déplairait pas hein. J'aime
ça. Sinon j'aurai arrêté Pantoufledepuis longtemps). Mais bref ! Gagnés par la fièvre de l'expertise, on a
continué notre travail sur Pantoufle.
Ça n'a pas été négatif, puisque nos méthodes de travail s'en sont trouvées
ajustées.
Georges, véritable bourreau de
travail (et avec un BAC S à côté) a pondu une version jouable de Pantoufle en
avril 2008. Ça y est, on la tenait, notre sortie ! Après des années d'attente,
on s'attendait à un démarrage timide, mais pas du tout : les
préinscriptions ont explosées, et en quelques heures, on avait atteint je sais
plus combien de joueurs sur le serveur. Celui-ci n'a pas tenu le choc, et il a
carrément fallu qu'on mette au point des files d'attente pour pouvoir jouer.
Quant au forum, ça postait dans tous les sens, c'était la folie totale :
on y était pas préparés. Dans l'équipe, c'était l'euphorie ; j'en aurai
presque chialé de joie, je pensais en être arrivé au bout. Hélas, les choses
ont dégénérées : en si peu de temps, Georges ne pouvait clairement pas
mettre au point une version parfaite du jeu, si bien que plusieurs bugs majeurs
ont été relevés, entraînant abus et triches. A la fin, le chaos était tel qu'il
a fallu tout couper. Pour finalement décider, quelques jours plus tard, de
clore temporairement Pantoufle pour
remédier aux bugs rencontrés. La bêta-test que nous avions effectué au
préalable n'avait visiblement pas été suffisante.
Sur le coup, la coupure a été
un véritable soulagement pour l'ensemble de l'équipe. Quand j'allumais mon
ordinateur, je passais mon temps à répondre aux multiples questions posées sur
le forum, souvent les mêmes d'ailleurs. Un truc à s'en arracher les cheveux.
Tout le monde était débordé, et je ne pouvais pas consacrer tout mon temps à
expliquer aux joueurs pourquoi telle chose buguait, j'avais autre chose à
faire. Je plains encore les pauvres modérateurs de l'époque.
X. Un jour peut-être...
Depuis avril 2008, le jeu n'a
pas rouvert. Georges a tout recodé de zéro depuis septembre 2008, pour optimiser
le code, un truc comme ça. Voyant qu'on avait du temps, moi et Norbert, mon
partenaire de brainstorming, nous sommes lancés dans l'élaboration de nouveaux
systèmes de jeu, et dans la révision systématique de tout ce que l'on a pondu
depuis le début. Nous voulions nous assurer que tous les éléments
s'imbriquaient les uns les autres sans causer de problème.
On est assez carrés dans notre
méthode de travail maintenant. Chaque nouveau système qu'on imagine ou qu'on
remanie fait toujours l'objet d'un détaillement précis. Forcément, c'est très
long à faire : non seulement il y a le texte à taper, les mécaniques de
jeu à penser (ce qui fait, généralement, au minimum une dizaine de pages,
au maximum vingt ou trente pages), mais je m'efforce aussi de proposer des
concept art, bricolés sous Photoshop, pour aider les programmeurs à mieux
saisir ma vision (car entre temps, on en avait embauchés quelques-uns,
soulageant Georges d'un peu de boulot). Et, paradoxalement, plus on avance dans
ce fastidieux travail de check-list, plus on trouve de trucs à revoir. Nous
sommes donc soit très perfectionnistes, soit très nuls car on a mal fait notre
boulot. En tout cas, nous sommes certainement masochistes.
Les dernières nouvelles ne
sont pas franchement réjouissantes. Nous étions censés tout boucler cet été,
mais les programmeurs annexes embauchés n'ont pas été très vivants. Je pense
que de notre côté, nous avons fait le nécessaire pour assurer la communication :
mise en place d'une plate-forme de communication, demande de nouvelles
fréquentes, etc. Du coup, Pantoufleest actuellement en période de bas, et recrute à nouveau.
Objectivement, Pantoufle n'a pas grand avenir. Il faut
être réaliste : nous sommes complètement largués technologiquement face
aux jeux par navigateur actuels (bien que nous ayons potentiellement de quoi
optimiser tout ça), nous comptons principalement sur les systèmes que nous
avons implémentés, les joueurs nous ont désertés, bref, ce n'est pas très
reluisant. Le choix le plus judicieux serait d'infester Facebook de notre
présence, mais ce n'est pas au programme. En gros, on est à l'agonie, mais on
refuse de mourir.
Si l'on s'acharne aujourd'hui
à garder en vie Pantoufle, c'est avant
tout pour notre communauté. On ne peut vraiment pas dire du jour au lendemain, « Bon
les gars, vous avez attendu cinq ans pour rien. C'est terminé. Allez jouer à
autre chose ». On veut le faire pour nos joueurs. Du moins, ceux qui restent. Et aussi pour notre
fierté personnelle, un peu quand même. Pour ma part, que Pantoufle sorte un jour ou pas, ce n'est pas un problème : j'ai
vécu une superbe aventure et je remercie les gens m'ayant donné l'opportunité
de me placer du côté des développeurs. Si c'était à refaire, c'est oui sans
hésiter. Et si vous, vous avez la chance de le faire, foncez !